Plutôt une bonne nouvelle (enfin)

La réglementation de l'e-cigarette doit tenir compte de sa capacité à remplacer la cigarette classique

WASHINGTON, LONDRES, 24 juillet 2013 (APM) - La cigarette électronique semble pouvoir rivaliser avec la cigarette classique et favoriser une baisse du tabagisme voire un arrêt, ce que les politiques de santé publique devraient prendre en compte pour réglementer ce produit, suggère une étude tchéco-britannique publiée dans Chest.

Le succès de la cigarette électronique a surpris les acteurs de la lutte anti-tabac. Les experts ont d'abord eu des réactions partagées mais plus récemment, certains ont fait valoir que l'e-cigarette semblait être considérablement plus sûre que la cigarette classique et que si elle pouvait la remplacer, cela aurait un impact positif sur la santé publique, rappellent le Dr Eva Kralikova de l'hôpital général de Prague et ses collègues.

Pour évaluer le potentiel concurrentiel de la cigarette électronique, ils ont conduit une enquête dans la rue, interrogeant des adultes qui fumaient ou qui achetaient des cigarettes dans 17 villes en République tchèque, pays où environ un quart des adultes fument tous les jours et où l'e-cigarette est disponible dans des bureaux de tabac, dans des boutiques spécialisées ou sur internet.

Parmi les 1.738 répondants, la moitié a déclaré avoir testé la cigarette électronique au moins une fois. Ils étaient 158 à rapporter un usage régulier, au moins une fois par semaine (18,3% de ceux qui ont essayé au moins une fois), depuis en moyenne 7,2 mois. Ils étaient 120 à déclarer un usage quotidien.

Chez les consommateurs réguliers d'e-cigarette, 27% l'utilisent pour arrêter le tabac et 39,5% pour en fumer moins. Ils étaient 28,3% à utiliser l'e-cigarette uniquement comme un moyen de substitution dans les lieux où il est interdit de fumer. Sur l'ensemble, ils étaient près de 60% à rapporter une baisse de consommation des cigarettes classiques.

Ces résultats suggèrent que près de 20% des fumeurs qui testent la cigarette électronique peuvent en devenir des consommateurs réguliers. Ce taux pourrait être sous-estimé car des utilisateurs exclusifs d'e-cigarettes ayant arrêté le tabac n'ont pas été interrogés, commentent les auteurs. Ils reconnaissent toutefois qu'en l'absence de marqueur objectif, la réduction du tabagisme rapportée pourrait être exagérée.

Cette étude suggère que la cigarette électronique "se développe comme une véritable alternative face à la cigarette conventionnelle". "Les acteurs en santé publique doivent évaluer le rapport bénéfice/risque d'un scénario où l'e-cigarette deviendrait suffisamment attrayante pour commencer à remplacer la cigarette classique à l'échelle de la population", estiment les auteurs.

REGLEMENTER MAIS SANS ENTRAVER LE DEVELOPPEMENT

The Lancet Respiratoty Medicine a publié mardi dans sa rubrique "Comment" des points de vue de plusieurs spécialistes de l'arrêt du tabac montrant que la réglementation de la cigarette électronique est complexe mais qu'elle représente une opportunité dans la lutte contre le tabac.

Dans le premier article, cinq experts (anglais, américains, canadien et français) rappellent que l'Europe fait face à un tournant important car elle doit décider de maintenir la cigarette électronique comme un produit de consommation courante ou de la réglementer comme un produit de santé, médicament ou dispositif médical.

Ils estiment que la réglementation actuelle pour les produits de consommation courante permet déjà d'informer les utilisateurs sur les risques éventuels de l'e-cigarette ou de l'interdire aux enfants. Les précautions d'usage de produits chimiques beaucoup plus dangereux comme l'eau de Javel, reposent sur les avertissements apposés sur l'emballage et le bon sens, et une autorisation particulière n'est pas requise, comme elle n'est pas nécessaire actuellement pour garantir l'absence de plomb dans les jouets, font-ils valoir.

L'e-cigarette entre en compétition avec la cigarette classique mais aussi avec les traitements pharmacologiques de la dépendance tabagique. Toutefois, "la protection de ces marchés ne devrait pas être une priorité dans un programme de santé publique".

"Un statut dispositif médical ou de médicament freinerait le développement de l'e-cigarette" car "chaque petite amélioration devrait faire l'objet d'une autorisation, les coûts et les délais de mise en oeuvre des innovations augmenteront, comme cela s'est passé pour les produits de substitution nicotinique pour lesquels aucune amélioration majeure n'a été apportée depuis leur introduction il y a 30 ans", argumentent les experts.

"Les normes pharmaceutiques pour la production et les critères d'homologation sont des processus coûteux auxquels les cigarettiers n'ont pas besoin de se conformer". Même si plusieurs ont annoncé développer leur propre cigarette électronique, ils pourraient être tentés, étant donnés leurs moyens financiers, de maintenir l'e-cigarette à un prix beaucoup plus élevé que les cigarettes classiques et en limiter ainsi l'accès.

"Une réglementation excessive pourrait même faire du tort à la santé publique en préservant le monopole de la cigarette classique, avec comme conséquence le développement de maladies et le décès pour des millions de fumeurs que pourrait prévenir la cigarette électronique", préviennent les spécialistes.

PREVOIR L'EMERGENCE D'AUTRES PRODUITS PLUS NOCIFS

Dans le second article, deux autres experts américains considèrent que "la réalité est beaucoup plus complexe" et qu'il faut éviter de "se focaliser sur un seul système d'administration de nicotine purifiée, la cigarette électronique".

Ils estiment que "sans surveillance ou sans réglementation garantissant la sécurité des consommateurs, des cigarettes électroniques ou d'autres produits à base de nicotine purifiée pourraient être facilement disponibles, moins chers, contenir plus de nicotine ou d'impuretés par rapport aux produits concurrents proposés par l'industrie pharmaceutique" mais qui sont soumis aux contraintes réglementaires des produits de santé.

Les données disponibles suggèrent que l'e-cigarette semble moins nocive que la cigarette classique. Cependant les deux spécialistes attirent l'attention sur une molécule en développement dont Philip Morris détient les droits, le pyruvate de nicotine. Elle pourrait être utilisée dans de nouvelles générations de cigarettes électroniques et agir comme une cigarette classique, ce qui changerait "grandement l'équation en termes de sécurité cardiaque, mésusage et addiction."

Les gouvernements, les agences réglementaires et la communauté des chercheurs doivent "établir un plan de réduction des dommages qui permette aux produits de nicotine purifiée existants et émergents de rivaliser dans un cadre réglementaire remis à plat, avec des objectifs stricts de réduction de consommation des produits de tabac brûlés".

"Il faudrait se demander quel système réglementaire mettra dans la main de davantage de fumeurs des produits à base de nicotine purifiée sûrs et efficaces et favorisera l'élimination des produits de combustion les plus mortels". Ce sera "une étape" dans la lutte contre le tabac.

La cigarette électronique "pour la première fois dans l'histoire du mouvement pour le contrôle du tabac, émerge comme une possibilité vraisemblable de résoudre le problème du tabac et on pourrait y parvenir avec des dépenses ainsi qu'une participation minimales ou nulles du gouvernement".

(Chest, édition en ligne du 18 juillet et The Lancet Respiratory Medicine, édition en ligne du 24 juillet)